Histoire d’un détournement de biens publics

, par Comité Centre Essonne

À SIGNER, À DIFFUSER ! Faites cesser le détournement de bien public !

Enquête d’ATTAC aux archives départementales de l’Essonne :

C’est l’histoire d’un accaparement, d’un détournement de biens publics...
D’un côté, nous avons Suez en situation de monopole pour la fourniture de l’eau du sud francilien. Suez est le nouveau nom de la vieille Lyonnaise de Eaux, c’est maintenant une multinationale et de purs spéculateurs financiers comme le fonds étatsunien Blackrock sont majoritaires dans son capital et sa gouvernance. De l’autre côté, nous avons les élus régionaux regroupés dans le syndicat Eau du Sud Francilien (SESF) qui se battent pour le Service public de l’Eau.
ATTAC est en soutien aux élus.
Défendre les Services publics tout en luttant contre la financiarisation mortifère... ATTAC est complètement dans son rôle...

C’est donc l’histoire d’un accaparement, d’un détournement de biens publics...
Tout commence avec la création de la ville nouvelle d’Évry.
En mars 1967, le préfet de l’Essonne signe la déclaration d’utilité publique (consultable en cliquant sur le lien précédent).
Il s’agit de la création de l’usine de Morsang-sur-Seine, destinée à alimenter en eau potable les 4 communes de la ville nouvelle d’Évry.
D’autres communes de la région pourront aussi l’utiliser. Pour ces communes, le texte du décret est clair : le prix de l’eau sera « égal au prix de revient » et « soumis à l’approbation du préfet de l’Essonne ».

Pour la ville nouvelle, comme le rappelle cette note du service régional de l’équipement, ce sont deux contrats d’affermage qui seront mis en place. Le premier concerne la distribution d’eau, le second la conduite de transport entre l’usine et Évry.
Ce second contrat ne verra jamais le jour (on y reviendra) et le premier contrat fera l’objet d’âpres négociations avant d’être finalement signé en 1970…

La Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage (SLEE, ancêtre de Suez) et les autorités publiques débattent, par exemple de la durée d’amortissement de l’usine et des canalisations. Comme cet amortissement est répercuté sur la facture des usagers et reversé immédiatement à la SLEE, celle-ci souhaite un amortissement rapide (30 ans voire moins) alors qu’un amortissement sur 50 ans serait moins douloureux pour les usagers.
Au final, pour l’usine et le réseau, la SLEE demande qu’on lui reverse 4.2% de ses dépenses d’investissement chaque année soit un remboursement complet en 100/4.2 = 24 ans.

La SLEE demande aussi, et c’est légitime, le remboursement de ses frais financiers. Compte tenu de l’inflation de l’époque (officiellement 6,9% en 1970) les deux parties acceptèrent un rendement de 8,5% soit 1,6% au dessus de l’inflation. Voici quelques arguments fournis à cette occasion :

Au départ donc, tout était relativement clair, les seules ambigüités provenaient du fait que l’usine allait servir aux besoins des usagers bien au-delà de la ville nouvelle, et de l’absence d’un contrat d’affermage pour le réseau.

À cette époque la SLEE fournissait de l’eau à 44 autres communes. Toutes n’étaient pas raccordées à l’usine de Morsang, mais devenaient susceptibles de l’être. Sans compter toutes les communes de la rive droite, proches des nouvelles canalisations.

Un contrat d’affermage fut finalement signé en 1970 entre la SLEE et la ville nouvelle. Nous n’en avons trouvé, aux archives, que le cahier des charges qui a permis de l’établir (le document fait 31 pages).
Si ce document ne renseigne pas sur les chiffres retenus, fruit de négociations ultérieures, il est toutefois suffisamment clair quant à la propriété. En voici quelques extraits significatifs :

Dans la logique de tout contrat d’affermage, l’entretien était à la charge du fermier, mais la totalité du réseau devait revenir au syndicat qui gérait la ville nouvelle à la fin du contrat.
Il est difficile de comparer les prix de l’époque avec ceux d’aujourd’hui. Si l’on se contente d’appliquer l’inflation officielle et le passage à l’euro, l’INSEE propose un coefficient de 1,2 pour convertir les prix de 1970 en prix de 2022, dernière année ou Suez a imposé ses tarifs.
Le prix de la distribution d’eau potable, en 2022, était (hors taxes) de 1,32€ / m3, soit l’équivalent de 1,10F de 1970. C’est assez proche des 0,92F prévus au contrat ou des 0,80F proposés en 1968 par la SLEE dans un document détaillant le calcul du prix.

Même en tenant compte du fait que le coût de production de l’eau, au début des années 70, a pu augmenter plus vite que l’inflation, (tout comme les salaires mais à l’inverse du prix de l’électricité), il est raisonnable d’écrire que Suez applique aujourd’hui un tarif assez proche de celui de 1970.
Néanmoins ceci est anormal car le prix de l’eau aurait dû baisser depuis l’an 2000, quand le contrat d’affermage est arrivé à terme et que usines et réseaux, largement amortis, auraient dû être restitués au domaine public.
Si l’on reprend les chiffres de la SLEE pour justifier ses exigences en 1968, le prix demandé de 0,80F se décomposait ainsi :

  • Coût de la distribution : 0,28F (35%)
  • Fonctionnement de l’usine : 0,12F (15%)
  • Amortissement des équipements : 0,40F (50%)
    Ce dernier poste correspond à la moitié du prix de vente demandé aux usagers. Il aurait dû disparaitre en janvier 2000, à l’expiration du contrat d’affermage, d’autant que le tarif était basé sur un amortissement en 24 ans.

Il est donc légitime d’écrire que depuis l’an 2000 Suez réclame deux fois trop pour chaque mètre cube d’eau potable. Et que nous, les usagers, avons déjà racheté deux fois les équipements du RISF.
Autrement dit encore, en 2022, sur les 1,32€/m3 exigés par Suez, 0,66€ étaient sans doute injustifiés.

Le coût de la distribution soit 1,32€ - 0,86€ = 0,43€ correspond toujours à 35% du prix réclamé. Mais le prix de vente en gros correspondant au prix de revient, cette fois sans amortissement, il aurait dû être de 0,20€/m3. Peut-être un peu plus pour tenir compte des progrès techniques et des nouveaux investissements (0€30/m3 ?)

Bien sûr les documents trouvés aux archives ne concernent que la ville nouvelle d’Évry mais rien ne permet de penser que les autres communes n’ont pas été soumises au même régime (voir par exemple le cahier des charges d’affermage de 1965 concernant Étampes).

Enfin, puisque le contrat d’affermage initialement prévu pour le réseau qui relie l’usine à la ville nouvelle n’a jamais été mis en place, qui a construit, financé et géré ce réseau ?

C’est la SLEE qui a construit ce réseau, comme c’est précisé dans l’attestation de réalisation de 1972. Le prix en a été de 17MF, soit environ 17M€ d’aujourd’hui.

Mais qui a payé ?

Comme on peut le vérifier dans deux comptes-rendus de réunions, outre une subvention de presque 4MF par l’agence du bassin, le reste fut financé par les communes de la ville nouvelle au prorata de leur consommation.

Donc ces tuyaux ont-ils été propriété publique dès le départ ?
Pas tout à fait car la SLEE a remboursé ces emprunts aux communes, profitant seulement des conditions financières favorables offertes par la Caisse des Dépôts aux collectivités locales. Voir la convention entre le SIARE et la SLEE de 1971.
Néanmoins, comme le rappelle ce document, à l’issue d’un délai de 30 ans, donc en 2001, le réseau est devenu propriété publique.

En 2002, le préfet à souhaité à nouveau que cet ensemble soit soumis à un contrat d’affermage distinct de celui de la distribution. Cette demande fut soutenu par la ville nouvelle en 2002 (voir le compte-rendu de la réunion du conseil de communauté, document ne provenant pas des archives départementales mais d’un élu). La délibération prévoyait qu’à l’issue d’un an, le contrat d’affermage soit mis en place. Ce ne fut jamais le cas.

Néanmoins en 2006 une convention pour l’utilisation d’une canalisation fut signée entre la ville nouvelle et la Lyonnaise des Eaux, autorisant celle-ci à utiliser les canalisations contre un loyer annuel de 5 000 € pendant 30 ans et sans révision annuelle.

Suez aurait dû payer pour l’amortissement de l’équipement concerné. Combien ?
En 1970 la construction de l’équipement a coûté 17MF. Au moment de la mise à disposition, en 2006 , avec l’inflation et le passage à l’euro, cela correspondait à 16M€.
En prenant pour base un amortissement sur 60 ans, comme prévu en 1970 dans les documents officiels, chaque année Suez aurait donc dû payer 16M€ divisé par 60 soit 266 667€, 53 fois plus que ce qui lui fut réclamé en 2006. Aujourd’hui c’est même 65 fois plus puisque le "loyer" dérisoire de 5 000€ ne prévoyait aucune clause de révision pour tenir compte de l’inflation.

Comment les élus ont-ils pu se laisser berner à ce point ? La question vient à l’esprit de toute personne qui s’intéresse au dossier. Sans doute que cela provient assez largement du fait que Suez se prétend propriétaire du réseau et donc légitime pour fixer les prix. Mais ce n’est pas le cas. Comme l’a précisé récemment la préfecture de l’Essonne, la déclaration d’utilité publique initiale, si elle autorise Suez à construire le réseau à ses frais, ne vaut pas titre de propriété. C’est seulement parce qu’il manquait un interlocuteur public unique face à Suez que la remise de propriété aurait été complexe. L’existence du Syndicat Mixte des Eaux du Sud Francilien, approuvé par le préfet et qui a pour objectif officiel « la reprise en propriété publique des installations de production et de transport d’eau potable et la maitrise publique de l’ensemble du service de l’eau potable », a levé cet obstacle.